Les contradictions de la collectivité sont toujours drôles à observer. La communication tapageuse annonce un "agenda 21", série de mesures en faveur du "développement durable" ? Quelques semaines après, on décide de supprimer des lignes le dimanche ou en soirée, de réduire les fréquences de passage et d'augmenter les tarifs du ticket de transport… Les raisons ? des bus sous-utilisées à certaines heures, un tram dont la fréquentation est importante mais stagnante. Les élus en tirent donc la conclusion qui s'impose : puisque les transports ne servent pas assez et que ça coûte, réduisons l'offre et augmentons les tarifs.
En vérité, une vraie politique publique favorable au social et à l'environnement aurait suivi la voie exactement inverse : maintenir voire accroître une offre, quitte à la redéployer ou à réserver encore davantage d'emprise pour les voies de bus et au contraire diminuer le prix unitaire pour l'usager et promouvoir la gratuité pour les plus pauvres, de manière à améliorer l'attractivité des transports en commun.
Le problème de fond et inavoué est en fait financier et annonce d'autres difficultés dans d'autres services publics municipaux : les baisses de recette provoquées par la réforme territoriale renforcent le penchant naturellement pingre des collectivités mancelles. D'ailleurs, Le Mans Métropole va en parallèle diminuer sa subvention à la SETRAM. Les recettes de l'exploitation commerciale vont donc pendre une part croissante et financer le renouvellement du réseau. Ce faisant, elle applique des méthodes de gestion que l'accès payant est théoriquement supposé empêcher : faire principalement payer à l'usager les coûts d'investissement pour ménager les entreprises par la modération du versement transport et les autres contribuables utilisateurs de voitures. Il est exact qu'électoralement, ils sont sans doute plus nombreux. La mise en place du chèque transport pour les salariés est sensée compenser mais les entreprises ne l'appliquent pas forcément et la part restant à la charge du salarié est déduite de son salaire ou financée en totalité ou en partie par le comité d’entreprise. Les situations sont donc très variables.
L'orientation se confirme : on investit lourdement dans des équipements au nom de l'emploi pour économiser ensuite sur les dépenses de fonctionnement et donc sous-utiliser ce qu'on a construit. Pourtant d'autres solutions existent : des villes plus petites sont carrément passées à la gratuité. Des plus grandes, telle Dijon, il est vrai sans tram, ont une politique tarifaire beaucoup plus volontariste : 1€ le voyage et 0,5 € pour les bénéficiaires de la CMU.
Alors 2010, l'année du grand retour des problèmes d'embouteillages au Mans ?
L'article ci-dessous brosse un paysage synthétique du débat.
La gratuité des transports en commun est-elle une utopie ?
Pas de ticket, pas de tourniquet, pas de contrôleur... Six villes françaises ont mis en place la gratuité totale des transports en commun. Colomiers (près de Toulouse) et Compiègne (Oise), la pratiquent depuis les années 70. Plus récemment, les municipalités de Vitré (Ille-et-Vilaine), Châteauroux et Issoudun (Indre), ainsi que Mayenne (Mayenne) se sont lancées dans l'aventure. En Europe, d'autres villes ont tenté une incursion sur le territoire de la gratuité, en Espagne et en Belgique notamment. L'objectif ? Accroître le trafic des passagers.A Vitré, par exemple, le maire Pierre Méhaignerie se désespérait de voir tourner des bus à vide. La décision de supprimer la billetterie a été prise en mai 2001. La mesure visait également à réduire la circulation en ville aux heures de pointe, notamment à la rentrée et à la sortie des classes. L'effet fut immédiat. Le trafic est passé de 47000 à 120000 voyages par an. " Il est clair, en France au moins, que la gratuité permet d'augmenter la fréquentation des transports en commun de façon durable ", observe Yves Duhamel, le directeur du cabinet Axiales, auteur d'une étude sur la question (en cours). A Hasselt en Belgique, la gratuité, conjuguée à une amélioration du réseau, a fait s'envoler la fréquentation de 30000 voyageurs par mois en 1997, à 267000 en 1999.
La recette au mal des villes ?En partant de ces exemples récents, plusieurs groupes d'inspiration alter-mondialiste, comme le RATP à Paris (le Réseau pour l'abolition des transports payants) ou le Collectif sans ticket de Bruxelles (CST), demandent l'application de la gratuité à tous les réseaux de transport. Leur idée, faciliter les déplacements des personnes à bas revenus. Outre ces associations, la question est posée en haut-lieu. Le Predit (Programme interministériel de recherche et d'innovation dans les transports terrestres) a précisément commandé l'étude que le cabinet Axiales doit rendre au printemps sur cette question. S'y intéressent également la Mission interministérielle sur l'effet de serre, et le ministère de l'Ecologie. " Tramways et métros fonctionnent à l'électricité. La plupart des bus sont désormais équipés de filtres à particules et roulent à l'aquazole, voire au gaz. Il est évident que le bilan énergétique et environnemental d'un bus, qui peut transporter de 50 à 80 personnes, est très supérieur à celui d'une voiture ", observe Yves Duhamel. Congestion automobile, pollution atmosphérique, émissions de gaz à effet de serre... en poussant à l'utilisation des transports publics, la gratuité serait-elle la recette miracle aux maux des villes ?
La gratuité... a un coûtSans nier l'intérêt de l'idée, les spécialistes émettent des réserves. En premier lieu, souligne Yves Duhamel, la gratuité n'est pas une politique en soi, mais un outil parmi d'autres. " La ville d'Hasselt a doublé la gratuité d'un plan de mobilité, avec une politique de circulation et de stationnement. A l'image de Châteauroux, elle a amélioré l'offre de transports en commun, qui était médiocre à l'origine. " Ensuite, si le coût de la gratuité apparaît supportable pour un petit réseau de bus comme celui de Vitré, il serait considérable dans une grande ville. Vitré ne dispose que d'un réseau de surface, 2 bus assurant la desserte de 9 lignes. Le coût de la gratuité correspond aux recettes de la billetterie, auxquelles la commune de 16000 habitants a renoncé : 25000 à 30000 euros par an. A Châteauroux (70000 habitants), la billetterie couvrait 14% du coût total du service : la municipalité a donc tiré une croix sur 420000 euros par an. A Hasselt, ce coût est de l'ordre de 625000 euros.
Mais dans les grandes agglomérations... " Plus un réseau est grand, plus il est complexe, plus les investissements sont lourds, plus la gratuité est inenvisageable ", énumère Jacques Donati, du réseau lyonnais de transports (TCL). A Lyon, la gratuité conduirait à tirer une croix sur 109 millions d'euros de recettes annuelles. Il ne s'agit pas de recettes nettes, puisque leur collecte nécessite des frais (impression des tickets, contrôleurs...), mais elles représentent 18% du budget annuel de la TCL.
" En fait, conclut Yves Duhamel, on peut envisager deux situations. Pour les villes petites et moyennes, de 50 à 200000 habitants on pourrait étendre l'idée de la gratuité. " Les autres pourraient s'inspirer de Genck (Flandre), Dijon ou Beauvais, qui appliquent des prix extrêmement faibles : 0,8 euro le ticket unitaire à Dijon. Elles développent ainsi l'usage de transports en commun, sans renoncer à de précieuses recettes. Enfin, dernière piste, évoquée dans un rapport du Commissariat au Plan, celle des péages urbains. La recette de Londres fait réfléchir bien des édiles en France, " mais c'est encore un tabou ", estime Yves Duhamel.
Walter Bouvais Mis en ligne le : 23/01/2004 |