L'INSEE vient de publier des données statistiques sur le quartier des Sablons au Mans. Il ne s'agit pas de n'importe quel quartier. C'est une des premières zones franches urbaines créées en France. Les résultats sur l'implantation des entreprises sont pour le moins surprenants… à noter que l'évaluation des résultats des actions du contrat urbain de cohésion sociale (politique de développement social multipartenariale) est en cours et inclut ce type de données.
Pour rappel : Les entreprises qui s'installent dans ce type de quartier sont exonérées des cotisations à la charge de l'employeur au titre des assurances sociales, des allocations familiales ainsi que du versement de transport et des contributions et cotisations au Fonds national d'aide au logement, ces exonérations étant modulées cependant en fonction des niveaux de salaires. Ce sont donc de gros cadeaux faits aux patrons : en 1997, une entreprise de transports a avoué que cela représentait 300000 F d'économie (donc de déficit public et autant en moins pour les budgets des services publics gratuits) sur un chiffre d'affaire 1,5 MF, soit 20% de gain.
La zone franche mancelle, créée en 1997, a certes peut-être permis de sauvegarder des activités dans le quartier des Sablons, qui compte environ 11 000 habitants en 2006. Les données récentes (Mars 2009 du conseil économique et social) montrent qu'en 1997, date de création, il y avait 122 entreprises pour 669 emplois, en 2001, 56 entreprises pour 1 248 emplois et en 2008, 317 entreprises et 518 établissements pour 1 944 emplois (dont environ 190 habitent la ZFU) En 12 ans, les Sablons ont donc multiplié par 3 le nombre d'emplois.
D'une part, on remarquera tout de même que ce gain n'a apporté que 190 emplois aux habitants, assez loin des 20 % supposés dans le projet des zones franches. Il est possible que les nouveaux embauchés se soient empressés de déménager une fois les premiers salaires perçus. Mais alors où se situe le gain pour la mixité sociale et le maintien des salariés dans un quartier qui tend à concentrer pauvreté et exclusion ? Au final, cela n'a pas empêché le nombre de chômeurs de fortement augmenter entre 2007 et 2008 en passant de 1664 à 1773 (+7%) pour avoisiner les 25 % de la population active du quartier.
D'autre part, ces chiffres en trompe-l'œil n'indiquent pas si ces activités ont été créées sur place ou si elles sont le résultat de déplacements massifs d'entreprises appâtées par les exonérations. Souvenez-nous en 2006, quand l'immeuble de la zone des Atlantides à Funay a été livré : des médecins spécialistes pratiquant les dépassements d'honoraires s'installent. La polémique enfle : l'arrivée de professions libérales venues bénéficier d'avantages fiscaux correspond-elle aux buts initiaux de la zone franche ?
Les chiffres, en tout cas, sont éloquents : de 2006 à 2007, 278 établissements s'installaient dont 79 du secteur de la santé (28%) ! 126 sont des transferts de sièges (45%) ! Présenter presque une implantation sur deux comme un "succès" alors qu'il ne s'agit que d'aubaines saisies par des chasseurs de primes est pour le moins scandaleux… et ne parlons pas du statut de ces emplois : précaires ? aidés ? nul ne le sait…
Le cynisme de l'affaire prend encore davantage de relief avec les résultats édifiants qui viennent de paraître à propos, justement, des refus de soins infligés aux patients bénéficiaires de la CMU (3668 en 2007 dans le quartier) Selon une étude rendue publique par le Fonds de financement de la couverture maladie universelle (CMU), 25,5 % des professionnels de santé exerçant à Paris refusent de soigner les patients les plus défavorisés. La principale raison du refus est pécuniaire : les patients CMU interdisant un dépassement d'honoraires, les prendre en charge constitue un manque à gagner pour les médecins de secteur 2. De plus, bénéficier de la CMU ne va pas forcément de soi, encore faut-il le mériter. L'étude souligne ainsi qu'avant d'accorder un rendez-vous, certains praticiens opèrent "un tri en fonction de ceux qui seraient des "bons pauvres" ou des "mauvais pauvres". D'autres éjectent les patients CMU à l'hôpital public : avec l'idée qu'il s'agit là d'un lieu pour les pauvres, les cabinets de ville étant plus adaptés aux "autres patients".
Alors exigeons un contrôle accru sur les médecins de la zone franche, exigeons qu'ils remboursent la collectivité des cotisations sociales non payées s'ils s'avèrent qu'ils pratiquent un tri parmi les patients CMU, exigeons la fin de la précarité dans la zone, exigeons la fin de la zone franche, une nasse à profiteurs sans scrupules qui n'a pas à accueillir d'entreprises délocalisées ni d'entreprises rentables. Quant aux créateurs d'entreprises, les dispositifs de droit commun les assistent déjà largement et en plus ils bénéficient parfois d'aides directes comme des locaux. De quoi se plaignent-ils ? les chantres de la "responsabilité" demandent qu'on les rase gratis. ça ne les autorisent pas à voler les salariés en refusant de rétribuer la part "brute", celle des cotisations sociales…
Sources : sur la CMU : http://www.cmu.fr/, sur les données économiques et sociales aux Sablons : http://sig.ville.gouv.fr/zone/52070ZF, sur la polémique des médecins en 2006 à Funay :
http://www.lemans.maville.com/actu/actudet_-Bilan-ambigu-pour-la-zone-franche-des-Sablons-_loc-564267_actu.Htm, sur les données récentes de l'INSEE : http://www.insee.fr/fr/ppp/bases-de-donnees/donnees-detaillees/duicq/xls/indcle/indcle_72601.xls et http://www.insee.fr/fr/ppp/bases-de-donnees/donnees-detaillees/duicq/uu.asp?reg=52&uu=72601, sur le rapport du CES : http://www.conseil-economique-et-social.fr/rapport/doclon/09030505.pdf