Communiqué du syndicat du Mans de la Confédération Nationale du Travail française (CNT-f) sur ses positions relatives à la fonction publique, aux services publics et les revendications immédiates. La CNT72 développe en effet une analyse spécifique de ce que sont les services publics et à partir desquels il est possible de construire une voie pour l'émancipation véritable. Loin de se cantonner aux jérémiades des partis et des syndicats en faveur des nationalisations ou des municipalisations pour placer sa destinée dans les mains des élus soi-disant garants de "l'intérêt général", nous proposons une autre voie qui dénonce la conception française purement étatiste et centralisée du service public. Nous publions donc une précision théorique sur la notion d'intérêt général rédigé apr un militant en appuie du texte syndical issue d'un tract diffusé aux travailleurs du secteur public depuis 10 jours.
La CNT et la fonction publique
Le fédéralisme au lieu du corporatisme. Il n'y a pas de fédération syndicale "fonction publique" à la CNT mais une union entre les secteurs privés et publics dans des fédérations qui regroupent des activités proches, que les agents soient titulaires ou contractuel(le)s, si possible avec des usagers. Il s'agit ainsi de lutter contre le faux clivage public/privé et les divisions statutaires qui affaiblissent les luttes. Des sections syndicales existent dans de nombreux établissements de services publics : C'est le cas dans divers ministères (justice (PJJ), DGIfp (impôts), travail (ANPE), Education Nationale, MEDDAAT(Equipement), culture (INRAP et patrimoine), PTT..), dans les hôpitaux ou des collectivités locales, mais aussi dans des structures qui exercent sous contrat des missions d'intérêt public (CPAM, CAF, URSSAF, associations agréées, cliniques)…
L'indépendance plutôt que le paritarisme. Très méfiante à l'égard des instances paritaires, la CNT s'interdit la participation aux élections professionnelles dans le secteur public mais présente à l'inverse de délégués du personnel et des délégués syndicaux dans le secteur privé pour protéger ses représentants (sous contrôle strict du syndicat) Cela se justifie parce que les droits syndicaux minimums sont garantis pour les fonctionnaires, parce que la CNT privilégie toujours l'action directe et la souveraineté de l'assemblée générale des salariés plutôt que les négociations paritaires, parce que ces instances rendent dépendants des subsides versés par les administrations, parce que les avis n'y sont que consultatifs et encouragent le clientélisme en impliquant les syndicats dans la gestion du personnel.
Définir l'utilité sociale des services publics. La CNT ne reconnaît pas que l'intérêt général, défini par l'Etat, fonde le service public. Nous pensons qu'il faut trier les services pour reconvertir voire supprimer certaines fonctions à partir de la notion d'utilité sociale, mais sans suppressions d'emplois. L'utilité sociale doit se définir par l'assemblée des salarié(e)s et des usagers. Mais nos critères incluent le coût d'accès, le désintéressement, l'aide aux plus défavorisé(e)s, la solidarité, l'amélioration des conditions collectives d'existence, la nature vitale des biens ou services produits, la démocratie, la laïcité… La CNT refuse ainsi de syndiquer les forces répressives (polices, armées, douanes, pénitencier), que nous considérons comme étant d'abord des instruments du pouvoir contre le mouvement social et les revendications des exploités. De plus, la CNT ne fait pas du monopole de l'emploi public une fin en soi car l'utilité sociale est aussi assumée par des organismes de l'économie sociale et solidaire (associations, mutuelles, coopératives) ou avec des fonctionnaires "assimilés" comme dans les écoles privées ou à la sécurité sociale et qu'il faut par conséquent protéger et dissocier de la course à la rentabilité au même titre que la fonction publique.
Le refus du productivisme. Nous ne défendons pas les modes de production de la société de consommation, destructeurs de l'environnement et de la santé. Il est nécessaire d'étudier l'impact écologique et sanitaire de chaque emploi, de chaque bien ou service produit avant de le défendre. Nous soutenons donc au cas par cas les démarches de reconversion industrielle, de reclassements non subis, de meilleure indemnisation ou formation plutôt que le maintien forcé de la précarité ou de productions comme le nucléaire, l'armement ou certaines biotechnologies.
Pour des évolutions statutaires en faveur de la démocratie sociale. La CNT est favorable à une transformation du fonctionnement des services publics, mais à partir des statuts actuels, pas en important des méthodes de l'entreprise privée ni par la privatisation. Nous combattons la culture du résultat. Nous rejetons ainsi la précarisation et l'individualisation des conditions de travail et de rémunération comme remède miracle. A la place, nous remettons en cause la hiérarchie des salaires et des rôles : les personnes (usagers et personnels) et les territoires devraient définir l'action publique légitime à partir de leurs propres besoins et imposer leurs conditions de réalisation. Mobilité et démocratie sociale se renforceraient par des mises à disposition d'agents à des organismes autogérées comme les coopératives d'intérêt collectif (SCIC) Plutôt que de miser sur des agents serviles marchant à la récompense, la CNT promeut, pour plus d'efficacité, l'égalité entre tous et la responsabilité personnelle et collective.
Nos axes revendicatifs immédiats :
* défendre les salarié(e)s publics : stopper la politique aveugle de suppressions d'emplois dans la fonction publique, notamment des agents de catégories C et B, refuser les recrutements des CDI et intérimaires, les temps partiels imposés, titularisation des personnels non titulaires sans condition de concours ou de nationalité. Augmenter le nombre de postes ouverts par concours. Contre les délocalisations et les fermetures de service de proximité. Fin du Service Minimum. Fin de l'annualisation du temps de travail et des heures supplémentaires.
* Pour une autre mobilité des fonctionnaires : réduction des moyens pour les forces répressives au profit des services à la population, reconversion pour le nucléaire et l'armement, accès illimité aux formations, reclassements valorisés et sans contraintes des agents, pour des détachements vers des structures coopératives ou associatives autogérées indépendantes, contre l'externalisation vers le secteur privé. Privilégier des services de qualité qui assurent leur rôle face aux besoins sociaux et de solidarité.
* Revalorisations salariales contre les inégalités : traitement minimum à 1 600 euros nets pour tous, augmenter la valeur du point et réévaluer l'ensemble de la grille indiciaire pour accélérer les déroulements de carrière (l'ancienneté). Pour l'intégration progressive des primes diverses dans le traitement mensuel ou sous la forme de bonification indiciaire. Pour la réduction des inégalités entre filières et grades.
* Contrer l'ingérence managériale rétrograde : l'abandon des expériences de rémunération au mérite, pour une évaluation de la seule pertinence des politiques publiques, pour une auto-évaluation des équipes et par un collectif indépendant, contre la stratification hiérarchique et la judiciarisation des missions au dépend des savoir faire. Pour une libre participation à l'élaboration des projets d'organisation inter services. Pour des projets de service ou des programmes élaborés en autonomie par les équipes et une répartition des tâches non figée, votés à une large majorité. Pour le droit à désobéir à une consigne illégitime, même "légale".
* Une fiscalité enfin juste et efficace : Orienter les finances pour assurer gratuitement ou avec des tarifications basses l'ensemble des missions de service public. Suppression des impôts proportionnels au profit des impôts progressifs selon les ressources, des recettes fiscales locales basées sur des bases d’imposition actualisées, remplacer la taxe professionnelle par un impôt local qui s'appuie sur l'assiette foncière et sur l’excédent brut d’exploitation des entreprises. Fin des zones franches et de toutes les exonérations de cotisations sociales.
Précisions sur le rejet de la notion "d'intérêt géneral" (première partie)
L’opposition au vent de réforme destructeur du statut et des missions de service public se contente très souvent de réclamer un maintien de ces activités dans le giron de l’Etat ou des collectivités territoriales. Cette revendication portée par la quasi-totalité des organisations syndicales et des partis de gauche s’appuie sur trois principes :
- I’intérêt général commande de ne pas soumettre aux exigences de recherche de profit optimum certains services ou productions « vitaux » ou « primaires » car cela reviendrait à les confisquer au bénéfice de seuls ceux qui peuvent se les payer.
- Les nationalisations ou les municipalisations sont les moyens d’exclure ces mêmes biens ou services de l’accaparement individuel en les retirant de la propriété privée et en les plaçant sous la responsabilité des personnes publiques et de leurs représentants légaux.
- Les représentants légaux sont élus démocratiquement ce qui assure au peuple par leur intermédiaire une maitrise de la gestion de ces services et productions si cruciaux pour sa survie et son bien-être.
Cette conception largement répandue est étatiste : elle fait des pouvoirs publics les sauveurs et les protecteurs du peuple, dont les élus seraient le bras armé et la loi l’outil privilégié. Or, précisément, c’est ce schéma qu’il faut renverser. Les faits en démontrent les dysfonctionnements et les dangers, qui font que ces principes sont hostiles aux classes populaires et à tous ceux qui vivent de la vente de leur force de travail. Quand on analyse l’enchainement logique du schéma, on s’aperçoit que tous ses fondements sont imprécis.
L’intérêt général ? un concept indéfini à la portée répressive infinie et à la merci des partis.
Le problème principal de cette logique est qu’elle repose sur un concept sans définition précise, ni juridique ni philosophique : l’intérêt général. Tout d’abord au niveau philosophique, il est clair qu’elle apparaît au 18ème siècle avec « les lumières », notamment dans l’œuvre de Rousseau et son célèbre « contrat social ».
La définition qui en ressort est que « l’intérêt général est présenté comme l’expression d’une volonté générale supérieure aux intérêts particuliers ». Comme les idées révolutionnaires ne sont souvent que la continuité évoluée de principes anciens, certains n’hésitent pas à dire que l’ancien régime comportait déjà cette notion avec le « bien commun » de la royauté. La filiation autocratique est donc affirmée. Or, qu’est-ce que la volonté générale ?, comment se manifeste-t-elle et comment la distinguer clairement des intérêts particuliers ? Rousseau lui-même avait du mal à répondre à ces questions. Il s’agit de ce qui « désigne ce que tout citoyen devrait vouloir pour le bien de tous et non pour son intérêt propre ». Comme l’usage du conditionnel suggère qu’il ne sait pas toujours, il revient à l’Etat de définir et d’imposer cette volonté, y compris donc contre l’avis du peuple lui-même.
La volonté générale autorise ainsi le parlement majoritaire à s’asseoir sur les oppositions sociales, même massives. La conséquence est que la définition de l’intérêt général n’existe pas plus dans la constitution républicaine, puisque seul le mystère de l’exercice du pouvoir démocratique est, en faisant abstraction de l’expression citoyenne, en mesure de dégager une volonté générale par on ne sait quel moyen.
Ce flou originel est grave pour deux raisons :
- de philosophique, l’intérêt général devient juridique car il est à la base du droit public et administratif. Il permet de justifier « l'existence de services publics, des actions publiques, des lois et règlements d'ordre public, ainsi que des expropriations et des nationalisations », c’est-à-dire qu’il engendre des mesures répressives et des contraintes portant atteinte à la liberté individuelle. Etant par nature insondable, ses contours sont évolutifs et les changements apportés sont donc par définition incritiquables. La légalité devient forcément légitime. Les services ne sont « publics » que parce que le pouvoir public le tolère.
- L’avenir de tout ce qui constitue les services publics est donc placé entre les mains des représentants élus du peuple, issus des fractions partisanes. Seuls ceux qui occupent les plus hautes fonctions sont présumés capables de s’élever au-dessus des considérations particulières afin de percevoir dans un halo lucide « la volonté de la collectivité des citoyens en tant que telle ». De cette façon, tout service public tant au niveau de son fonctionnement que de ses finalités devient dépendant du jeu électoral, des alliances et de leur renversement, bref de toute une dynamique politicienne qui échappe totalement aux salariés et aux usagers.
Définir les services publics en invoquant l’intérêt général, c’est donc les placer de facto sous l’égide de l’Etat omnipotent, c’est en retirer la maitrise des mains populaires, et c’est favoriser les expropriations et les nationalisations.