Aux origines du syndicalisme manceau, des anarcho-syndicalistes :
hommage à Séraphine PAJAUD, une militante anarchiste et syndicale de la fin du XIXème siècle
Le syndicalisme manceau nait, comme dans beaucoup de villes ouvrières françaises, à la fin du XIXème siècle. La CGT se créé officiellement en 1895 alors qu’une bourse du travail existait déjà localement. Entre 1895 et 1906, pendant 10 ans, la CGT mancelle va se constituer peu à peu, ce lui permettra d’envoyer un délégué signataire de la charte élaborée pendant le congrès d’Amiens, en la personne de Narcisse Richer. C’est dans cette période de constitution que les militant-e-s anarchistes locaux vont fortement intervenir et investir le champ syndical. Parmi eux-elles, une femme d’exception : Séraphine Pajaud. En ce 8 mars, à l’heure où bon nombre de syndicats oublient de considérer et de combattre réellement l’infériorisation des femmes dans le monde du travail, ainsi que leur prise en charge disproportionnée des tâches domestiques utiles à la reproduction des forces de travail, voici un court rappel et un hommage pour son parcours et son rôle.
Séraphine Pajaud arrive au Mans en décembre 1892 à l’âge de 34 ans en provenance de Londres, c'est-à-dire bien avant l’amnistie de 1895 pour les anarchistes. Que faisait elle à Londres ? Beaucoup d’anarchistes françai-se-s s’étaient exilé-e-s en Angleterre entre 1880 et le début des années 1890 afin d’échapper à la répression et d’obtenir un droit d’asile. Cette émigration atteindra son niveau le plus important en 1893-1894 au moment de la vague d’attentats anarchistes. L’essentiel de la propagande écrite en langue française provient alors de Londres (où les textes sont rédigés puis imprimés) pour être ensuite diffusée illégalement sur le territoire national. A noter aussi les activités illégales de cambriolages politiques préparés à partir de Londres pour financer la propagande. C’est dans ce contexte particulièrement dangereux que S. Pajaud décide de rentrer en France, probablement dans un but militant de propagandiste dans les milieux d’ouvrier-e-s, faute de pouvoir opérer ouvertement dans des conférences publiques. Rappelons que la troisième loi scélérate, votée le 28 juillet 1894 est probablement la plus hostile pour les anarchistes car elle les vise directement en les nommant et en leur interdisant tout type de propagande. Ce contexte coercitif pose question sur les intentions véritables de militant-e-s qui ont choisi la tactique syndicale : s’agissait-il uniquement d’utiliser opportunément le syndicat comme lieu de propagande caché faute de mieux plutôt que de le considérer avec les syndicalistes révolutionnaires comme un outil de lutte et d’organisation pour la société future ? Le parcours de S. Pajaud pourrait le laisser penser mais elle subît aussi la vindicte patronale, ce qui a pu la dissuader de poursuivre dans la voie syndicale.
A son arrivée, S. Pajaud est alors concubine de Marie-Georges Sandré , veuf également, avec qui elle se maria en juillet 1893 et eu un enfant. Ils habitaient au 40 rue du Port au Mans. En octobre 1896, elle créé le syndicat professionnel des tailleuses, culottières, pompières et parties similaires, adhérent à la bourse du travail. Elle y devient secrétaire le 22 août 1896 et délégué au comité général de la bourse.
Son mari devient quant à lui secrétaire de la chambre des galochiers, puis secrétaire adjoint de la bourse du travail. Ainsi, les époux Sandré et les travailleurs du secteur textile et de la confection ont joué un rôle essentiel à la naissance de la bourse du travail mancelle qui s’organise à partir de 1895. Cet engagement syndical lui vaut comme son mari, de perdre
son emploi. Elle assiste ensuite avec Léon Boudier (artisan galochier anarchiste, actif militant qui réunissait les anarchistes chez lui au 18 rue de la Calandre, sans doute pour des « réunions de familles », moments de sociabilité spécifiquement anarchiste, sensé renforcer les liens entre militants) à deux conférences de Sébastien Faure en décembre 1896 et à une réunion anarchiste alors tenue le 17 janvier 1897 contre les condamnations des anarchistes de Barcelone. Son mari décide le 24 janvier 1897 de rejoindre Faure à Paris pour l’assister dans ses tournées. Il y rejoint L. Boudier, également sans travail, ruiné et suicidaire, qui était en relation avec Faure depuis 1893. S. Pajaud demande alors à rejoindre son mari dans le courant de l’année 1897 pour les mêmes raisons que lui.
La suite est bien connue et décrite dans l’éphéméride des militants anarchistes.
« En mars 1898, avec son compagnon et leur enfant âgé de 5 ans, elle fit une série de conférences dans l’Aube (Troyes, Evry, Croutes, Saint Florentin, Tonnerre...). Selon la police, le couple voyageait à pieds "avec une cage en osier renfermant deux colombes".
Le 1er mars 1902, à la suite d’une conférence sur « l’inexistence de Dieu », elle fut condamnée par défaut par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, à 6 mois de prison et 100f d’amende pour « excitation au meurtre, pillage et incendie ». En 1904 elle participait à une nouvelle tournée de conférences ; elle était alors domiciliée à l’île de Ré en tant que veuve Sandré. En 1906 elle fut arrêtée à Alès (gard) sous la double inculpation « d’apologie de crime et insultes à l’armée ». »
Elle semble toutefois avoir gardé des contacts dans les milieux syndicaux et libertaires locaux car, lors de l’affaire de Boulogne sur mer, elle revient se réfugier au Mans le 13 novembre 1901 avant d’être condamnée en Mars 1902.
« Martial Desmoulins, qui la prénomme Amélie et l’avait rencontré au début des années 1930 chez un vieux compagnon d’origine juive, ami d’Alexandre Jacob, qui l’avait recueillie chez lui à Nice, l’évoquait en ces termes : "...Ce fut une des propagandistes les plus fameuses de l’anticléricalisme après la Commune et jusqu’en 1914. Elle faisait ses conférences de ville en ville, souvent n’ayant pas d’argent pour aller à l’hôtel et prendre le train, couchant dans des granges et sur le trimard. J’ai connu des camarades de Périgueux et de Bordeaux qui avaient organisé des conférences avec la camarade Pajaud, ils en faisaient des éloges. Moi, jeune anarchiste, lorsque je la rencontrai, je ne la trouvai pas extraordinaire, brave femme que le copain gardait parcequ’il la connaissait depuis très longtemps. Donc Amélie Pajaud faisait chez le copain un peu la femme de ménage. Sébastien Faure descendait chez ce copain avant de descendre chez Honorée Teyssier, qui fut à partir de 1936 la compagne de Louzon. Je me souviens que tous les deux racontaient leurs souvenirs. A. Pajaud avait parcouru toute la France sauf deux départements. Elle avait assisté avec émerveillement à la naissance de la CGT, à son organisation, et croyait que la révolution était une question de jours et de mois. En 1934, il me semble qu’elle se retira en Charentes Maritimes dont elle était originaire". En effet, en 1934 André Lorulot l’avait rencontrée à la Rochelle. »