Résumé de l'intervention de Saïd Bouamama aux 3èmes Rencontres Nationales des Luttes de l'Immigration le 25/11/2011 à Créteil

Saïd Bouamama est socio-économiste et chargé de recherche à l'iFAR( Lille). Il est également le directeur de publication du site« Les figures de la domination ». il a publié de nombreux ouvrages portant sur les milieux populaires, les jeunesses et l'immigration,et notamment La France, autopsie d'un mythe national( Larousse 2008) et Les Classes et Milieux populaires( Editions du Cygne, 2009). Son dernier ouvrage , Les discriminations racistes : une arme de division massive, est paru en 2010.


L'impérialisme

 

Depuis une cinquantaine d'années, on peut constater les conséquences des rapports coloniaux sur la manière dont sont traités les migrants. Ce sont les mêmes luttes qui ont lieu au Nord comme au Sud.

Cependant pas d'homogénéité dans les luttes des pays arabes. Le mot impérialisme est devenu désuet au Nord, alors qu'il y est fait référence dans tous les mouvements militants au Sud.

Aux USA, les discours du pouvoirs assument leur position impérialiste, revendiquent même une position de pacificateurs.

 

Quelques données objectives pour souligner que le degré d'oppression impérialiste a augmenté :

  • entre les années 90 et 2010, le revenu moyen des ménages africains a baissé de 20%,

  • le salaire moyen y a baissé de 33%,

  • dans les pays qui ont appliqué l'ajustement structurel du FMI, la baisse du salaire est de 30 à 60%.

 

Jamais les contre-poids à l'impérialisme n'ont été aussi faibles.

  • Depuis 15 ans, le discours sur la mondialisation sert à masquer l'impérialisme. On explique comme résultant des progrès techniques ce qui revient à des décisions politiques des grandes puissances modifiant les relations N/S.

  • La mondialisation a commencé avec la construction des grandes puissances : colonisation pour accroître les marges de profits des entreprises, élargissement des marchés pour écouler les produits avec destruction des productions locales.

  • La mainmise sur les matières premières permet un sur-profit de 23% . Une part du modèle social au Nord est financé par l'exploitation impérialiste. Les actions pour entraver l'accès des concurrents aux matières premières est cause de guerres sur les territoires du Sud.

 

Il n'y a pas d'histoire séparée entre la périphérie et le centre, au contraire il s'agit de la même histoire de la non-séparation entre destruction et pillage à la périphérie et développement au centre.

 

 

L'impérialisme change de forme mais pas de fond.

On peut prendre l'exemple de l'histoire du racisme, qui s'est développé sur des arguments biologiques et a dû se réformer après la période nazie. En effet l'application aux Blancs de violences jusque là réservées à des Noirs a exigé une transformation idéologique et débouché sur le racisme culturel.

 

Après le pillage amérindien et le partage colonial du monde, se développent les luttes de décolonisation. La victoire de Dien Bien Phu est le point de départ de la lutte de libération nationale en Algérie. Les luttes de décolonisation revendiquent l'indépendance politique mais aussi des relations économiques d'égal à égal. Les impérialismes répondent par une vague d'octroi d'indépendances africaines, et une vague d'assassinat de tous les leaders qui visent aussi l'indépendance économique. Ils mettent aussi en place des outils économiques pour remplacer la colonisation, FMI, Banque Mondiale.

 

La dette est la forme principale de l'impérialisme actuel. Après un amorçage par des crédits aux pays pauvres selon des règles contraignantes qui entravent le développement économique, d'autres ouvertures de crédit sont rendues inévitables. Les bailleurs imposent alors la destruction des services publics, la fin des protections douanières, de sorte que les intérêts des pays du centre soient portés par les gouvernements des pays périphériques, ce qui est une forme de dictature.

Maintenant que les pays du centre sont eux aussi frappés par l'arme de la dette, existent les conditions d'une prise de conscience des peuples du Nord.

 

 

Le travail de justification idéologique pour préparer les populations à accepter

Toutes les théories actuelles ont les mêmes origines, elles viennent de fondations financées par les grands groupes pour trouver les idéologies qui passent le mieux :

  • La fin de l'histoire , de Fukuyama,

  • Le choc des civilisation de Huttington.

 

L'objectif est de nous habituer à ne plus analyser ce qui se passe en Côte d'Ivoire de la même façon que nous analysons ce qui se passe en France, à utiliser une analyse culturaliste au lieu d'une analyse matérialiste et scientifique, de manière à transformer les victimes en coupable (guerres d'Afghanistan, d'Irak ).

  • En Afrique, les théories de l'ethnicisme et du tribalisme nient l'existence des classes sociales. La crise du Rwanda ne se comprend pas si on ne prend pas en compte les intérêts économiques.

  • La question de l'émancipation des femmes noires et arabes sous-entend qu'elles sont trop passives et soumises pour s'émanciper par elles-mêmes.

  • Le droit des minorités opprimées, une commande d'Etat américaine a recensé près de 2000 minorités opprimées dans le monde.

 

Les outils de diffusion idéologiques

  • L'impérialisme culturel :

  • Les bourses d'études n'ont jamais été aussi nombreuses, ce fut la même chose pendant la périodes des luttes décoloniales,

  • Les voyages d'étude aux USA, ce fut la même chose entre 1959 et 1963, moment où s'élaborait la tri-continentale. Programmes de repérage des élites dans les quartiers.

  • Soutenir la société civile , il s'agit de remplacer la lutte pour l'égalité économique par la lutte pour la survie

  • Liens syndicaux, offensive des grands syndicats

 

  • L'impérialisme humanitaire :

Les grandes fondations vont s'installer non pas là où sont les besoins les plus criants, mais là où il y a des ressources et où elles pourront peser sur les décisions politiques.

Il faut faire une distinction entre Etat et Pouvoir, il y a une volonté de détruire l'Etat mais pas les pouvoirs dictatoriaux. Quand les peuples se révoltent , la réaction est violente. Tous les pays visés par des projets de guerre ont essayé de desserrer l'étau de l'asphyxie économique, ont défendu des positions anti-sionistes et soutenu l'idée de payer les exportations en d'autres monnaies que le dollar. Le rôle d'Israël est stratégique comme outil de contrôle de l'ensemble du Moyen-Orient et est soutenu y compris par des non-juifs et des non-sionistes.

 

 

- Les nouveaux discours

La critique de l'impérialisme est remplacée par un discours sur « l'Empire ». il y aurait un seul ennemi, les USA, avec une mainmise totale, les autres puissances étant des valets. Il y a ainsi une remise en cause de l'idée que l'impérialisme est un système économique où les puissances sont en concurrence. Selon Samir Amin, la nouveauté est l'unité des impérialismes pour attaquer , mais pas pour exploiter la victoire et partager le butin. Il y a un jeu de contradictions qui permet de comprendre l'évolution des conflits.

 

 

 

Les révoltes arabes

Des millions de personnes les soutiennent avec un extrême courage, les grandes puissances sont surprises et ont été piégées par leurs idéologies, des réactions et contre-offensives ont immédiatement été lancées :

  • pour décapiter le mouvement là où la révolte est vraiment populaire et remet en cause le système dictatorial. Par exemple, en Egypte il y a eu occultation de la vague de grève qui a suivi le départ de Moubarak.

  • Invention de fausses révoltes. En Lybie, la situation est très différente de la Tunisie ou de l'Egypte. Dans la situation lybienne, les armes sont apparues tout de suite aux mains insurgés, des troupes avaient été entraînées depuis 3 ans. Il y a eu mise en scène de l'humiliation de Khadafi. Le journal « Le canard enchaîné » apporte des éléments dans ce sens concernant la Syrie.

  • Présentation idéologique :

  • on parle de la révolution de jasmin en Tunisie , ce nom est donné par les journalistes occidentaux. Il faut savoir qu'initialement, le terme « Révolution de Jasmin » a été utilisé lors de l'arrivée de Ben Ali au pouvoir.

  • On parle de « 1789 » arabe, pour empêcher la prise en compte des dynamiques décoloniales. Il y a une reprise des luttes décoloniales qui ont été entravées par les dictatures installées par les impérialismes.

  • On fait aussi des comparaisons avec les évolutions de Pays de l'Est.

  • Il s'agit de révolutions africaines, ou du Tiers-Monde, pas de « révolutions arabes ». L'impérialisme français a besoin de couper l'Afrique du Nord de l'Afrique sub-saharienne et promu pour cela l'Union Pour la Méditerranée, ce qui permet de réintroduire Israël.

 

Il n'est pas possible d'avoir un avilissement de l'image des Noirs et des musulmans sans conséquences sur le traitement des migrants et leurs descendants ici en France. Il faut se structurer pour être visibles en soutien anti-impérialiste aux côtés des peuples agressés.