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LE FRANC CFA ET L'EURO CONTRE L'AFRIQUE

 

de Nicolas AGBOHOU, ancien professeur de gestion à l'Institut National Polytechnique de Yamoussoukro, il enseigne actuellement les sciences et techniques économiques en France.

Extraits de la préface à la nouvelle édition de 2008, du Professeur François NDENGWE, chercheur à TELEMA ( Organisme africain indépendant de recherche en économie).

Le professeur Nicolas AGBOHOU a donné à son livre un titre qui résume la réalité qu'il décrit et annonce le combat qu'il mène : «  le Franc CFA et l'euro contre l'Afrique ».

 

Quelle est cette réalité ? C'est d'abord la servitude des quinze pays africains à la monnaie française. Un système de parité fixe, sans équivalent dans l'histoire monétaire, ligote la monnaie de ces pays à la monnaie française, hier le franc français, aujourd'hui l'euro. La singularité de ce système, c'est l'arsenal légal et statutaire qui régit le fonctionnement de la zone franc. J'invite vivement le lecteur à lire avec attention l'analyse que fait Nicolas AGBOHOU de cet arsenal. A ce jour et à notre connaissance, seuls deux auteurs ont consacré leur ouvrage à cette analyse : feu le professeur Joseph Tchundjang POUEMI, dans un livre paru au début des années 80, Monnaie, servitude et liberté- La répression monétaire de l'Afrique, et Nicolas AGBOHOU, dans le livre que vous tenez entre les mains. C'est dire l'importance de ce livre et l'exceptionnelle valeur du travail qu'a accompli Nicolas AGBOHOU.

 

La réalité du franc CFA et de la zone-franc, c'est aussi et peut-être surtout, le nazisme monétaire. Mettre en lumière cette autre réalité est l'un des intérêts majeurs de présente et nouvelle édition du livre de Nicolas AGBOHOU. Le franc CFA ou franc des Colonies Françaises d'Afrique, est créé le 25 décembre 1945 par un décret signé par trois Français qui ont en commun au moins un caractère : ils sont de fervents acteurs de l'agression coloniale contre l'Afrique. Surtout, leur pays, la France, vaincue et conquise par l'Allemagne hitlérienne en mai 40 vient de subir cinq années d'occupation nazie. Or cette occupation n'avait pas que le caractère spectaculairement bestial des hordes de soldats allemands soumettant les Français, pillant et versant le sang. L'occupation allemande de la France fut aussi un formidable champ d'exécution du nazisme monétaire externe.

 

Conçu par Herman GOERING, ministre de l'économie de Hitler, et appliqué aux territoires conquis par les troupes allemandes, le nazisme monétaire externe allemand n'avait que deux objectifs : soumettre et piller. Parce qu'elle était, et de loin, le plus gros des territoires conquis par l'Allemagne, la France a subi le nazisme monétaire allemand avec beaucoup plus de rigueur que les autres territoires eux aussi conquis par l'Allemagne, par exemple la Belgique et la Pologne. Curieusement, alors qu'il existe des tonnes de livres, de mémoires, de thèses de doctorat et d'articles sur l'occupation nazie en France, et que chaque année apporte de nouvelles publications sur le sujet, il n'existe quasiment rien sur le nazisme monétaire infligé par les Allemands aux Français. Pourquoi ?

La grands surprise ici, c'est le silence des Français, de leurs historiens et de leurs universitaires, d'habitude si diserts, sur ce qui est sans doute l'aspect le plus saignant de leur histoire contemporaine. Il faut remonter soixante-trois ans plus tôt, pour trouver un Français écrivant sérieusement sur ce sujet : René SEDILLOT, qui publie en 1945, son livre intitulé Le Franc enchaîné – Histoire de la monnaie française pendant la guerre et l'occupation. SEDILLOT constate :  « Avec les siècles, les formes du pillage sont devenues plus savantes. Les anciens Germains dévastaient en toute simplicité les pays qu'ils avaient conquis. Leurs descendants, en 1940, ont recouru à une méthode de rapine plus subtile et plus fructueuse : ils ont mis le mark à 20 francs ».

Cette manipulation du taux de change, à l'avantage exclusif du conquérant, est l'une des caractéristiques du nazisme monétaire appliqué à la France, nazisme monétaire que celle-ci, une fois libérée du joug hitlérien, appliquera aussi, intégralement et même en l'accentuant, à l'Afrique. Ce n'est pas une surprise, les Français créent le CFA en 1945, après l'occupation nazie,la même année où SEDILLOT publie son livre. Pour cette création, ils ont au préalable récupéré l'arsenal statutaire du nazisme monétaire que leur a infligé l'Allemagne et qui fut, entre autres, inclus dans la convention d'armistice signée le 22 juin 1940 entre la France conquise et l'Allemagne conquérante. Les Français ont alors fait du copier-coller : à leur tour, ils ont retourné l'arsenal nazi contre les Africains, de sorte que le franc CFA et la zone-franc, c'est du nazisme monétaire.

[...]

Nicolas AGBOHOU n'est pas qu'un chercheur. Il est aussi un combattant pour la justice. Son livre est un outil de combat. Combat contre le caractère malsain des pères fondateurs du franc CFA : l'agression coloniale de l'Afrique. Caractère qui est hélas une immuable constante de la zone franc et qui permet à l' Etat français de réussir l'exploit de maintenir intact son système de domination monétaire des pays CFA, malgré les « indépendances » qu'elles leur a accordées dans les années 60. Rien n'a changé, pas même le sigle : on a gardé CFA, qui signifie désormais quelque chose comme Communauté Financière d'Afrique.

Combat contre l'infantilisation dans laquelle la zone franc maintient l'Afrique et que l'on pourrait qualifier du syndrome « Ne le faites pas vous-même, nous nous en chargeons pour vous ». Au lieu de gérer eux-mêmes leurs réserves, les états CFA les confient au Trésor français. Au lieu de fixer eux-mêmes leurs objectifs de taux d'inflation, ils se contentent de singer ceux de la France et aujourd'hui de l' Euro groupe. Au lieu de favoriser et intensifier les échanges entre eux, les états CFA miment les « critères de convergence » définis par la France et l' Euro groupe. Au lieu de se doter de moyens techniques pour fabriquer eux-mêmes leur monnaie, ils se contentent de tout sous-traiter aux imprimeries de la Banque de France, qui facturent au prix fort. Au lieu d'encourager l'émergence d'une élite africaine d'économistes et de financiers compétents et indépendants, capables de défendre les intérêts africains, de promouvoir le point de vue africain et de le faire entendre dans le monde, les états CFA s'en remettent aux « experts » de la Banque de France et du Trésor français ou à ceux d'institutions multilatérales comme le FMI ou la Banque Mondiale.

Toute politique sans contradicteurs est corrompue. C'est précisément le cas de la zone franc et du franc CFA en Afrique. Dans cette zone, les questions monétaires sont un sujet tabou, la répression sévère, parfois meurtrière, comme ce fut probablement le cas concernant le décès, certains disent l'assassinat de Tchundjang POUEMI. Les premiers responsables de cette situation sont les dirigeants africains. Au lendemain des « indépendances », ils ont embarqué leurs populations dans l'impasse du franc CFA, lequel n'est rien d'autre que la prolongation de l'agression coloniale et raciale contre l'Afrique. Cette monnaie a admirablement servi le but pour lequel elle fur créée : être l'instrument de « l'appauvrissement automatique de l'Afrique et de l'enrichissement automatique de la France », pour paraphraser René SEDILLOT. Il y avait d'autres voies. Par exemple celle choisie par les pays du Maghreb, dès qu'ils se sont libérés du joug colonial français. Ces pays se portent aujourd'hui infiniment mieux que les pays CFA. Toutes les études le montrent, la décision de quitter la zone franc est pour beaucoup dans la meilleur santé économique de ces pays maghrébins.

 

[...]

Au livre de Tchundjang POUEMI publié voici bientôt trente ans, les adeptes du statu quo néo-colonial et les bénéficiaires du nazisme monétaire ont répondu par un silence. Total black-out. Ils ont refusé le débat. Il n'y a pas eu débat. Ils ont été imités par leurs relais dans les cercles influents, en l'occurrence le FMI, la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement, qui ont la mainmise dur les questions économiques ou stratégiques concernant l'Afrique. Les banques centrales des pays CFA ont réagi exactement comme ces adeptes et ces bénéficiaires. A la première édition de Le Franc CFA et l' Euro contre l'Afrique,publiée en 1999, l'année de l'introduction de l'euro, on a observé encore la même réaction de ces adeptes, de ces bénéficiaires et de ces banques centrales. Jusqu'ici, cette réaction, ainsi que la répression et l'intimidation contre la pensée libre en Afrique, ont bloqué tout débat sur ce qui est sans doute le plus grand scandale monétaire de toute l'histoire et aussi la principale cause de l'appauvrissement de centaines de millions d'africains.

Les choses pourraient être différentes avec la présente édition. Deux éléments nouveaux poussent à le croire. D'abord, l'euro n'a apporté aux Africains aucun des nombreux bienfaits qu'on leur avait promis lors de l'introduction de cette monnaie et de l'arrimage du CFA à elle. Au contraire, les populations africaines souffrent aujourd'hui plus que jamais de l'asservissement du franc CFA à l'euro : l'appréciation considérable de l'euro par rapport au dollar a pour conséquence l'appréciation automatique du franc CFA et donc aussi une dévastatrice perte de compétitivité des pays CFA.

Second élément, le plus important, la guerre en Côte d'Ivoire. La guerre a permis à grand nombre d' Africains, en premier lieu les Ivoiriens, d'identifier clairement les ennemis de l'Afrique. Des millions d' Africains sont descendus dans la rue pour affronter les chars ennemis et protéger les responsables ivoiriens décidés à défendre l'intérêt africain et à mettre fin au néocolonialisme dont le franc CFA n'est qu'un aspect. Un nombre considérable d' Africains, souvent des jeunes, sont morts dans ce combat pour la libération de la Côte d' Ivoire et celle de l'Afrique.

Une responsabilité particulière est donc placée sur les épaules des dirigeants actuels et futurs de la Côte d' Ivoire. Toutes ces victimes, tous ces jeunes sont-ils morts pour rien ? Le débat pour la libération définitive de l'Afrique ne peut plus être interdit. Or cette libération passe, à notre avis, par un rejet du franc CFA. Il ne peut donc plus y avoir tabou, et aujourd'hui, on ne peut plus répondre à Nicolas AGBOHOU par le black-out.

Mieux, les dirigeants de Côte d' Ivoire ont pour ainsi dire l'obligation d'aller de l'avant sur le chemin de la libération. Or, il se trouve que, malgré la guerre qui a considérablement affaibli ce pays, économiquement, politiquement et administrativement, le divisant en deux territoires antagonistes, l'un aux mains des rebelles avec leurs commanditaires étrangers, et l'autre sous le contrôle gouvernemental, la Côte d' Ivoire demeure et de loin, la plus importante économie de l' UEMOA*, représentant à elle seule près de 40% du PIB de cette union. La sortie de la Côte d'Ivoire de l'UEMOA sonnerait le glas de la zone franc.

Tout ceci souligne l'importance exceptionnelle aujourd'hui de la Côte d'ivoire pour le progrès en Afrique. Tout mouvement vers la libération étant pour l'instant invisible dans la zone CEMAC soumise à des autocrates s'éternisant au pouvoir, totalisant près de deux siècles d'exercice continu de la dictature, c'est à l'UEMOA qu'incombe la tâche de lancer la marche vers l'émancipation de l'Afrique. Et à l'intérieur de l'UEMOA, c'est au leader de cette union, la Côte d'Ivoire, de donner le cap.

[..]

« l'Europe est indéfendable », a écrit Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme. Président de l'Assemblée Nationale de Côte d'Ivoire, Mamadou KOULIBALY a dit : « Le franc CFA est moralement indéfendable ». En 63 ans d'existence, qui peut citer un seul résultat probant du franc CFA qui démentira ce dirigeant ivoirien ? Aujourd'hui qui peut défendre le nazisme monétaire en Afrique ? Quels Africains le peuvent ?

* UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine qui regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.